• Un long dimanche ,très long dimanche que ce dimanche .Les beaux dimanches ont fait long feu;ceux de mon enfance où accompagné de mes frères et sœurs ,savonnés comme à l'habitude(notre mère veillait à notre parfaite toilette),mais "habillés",nous nous rendions à la grand messe .Non pas que nous fussions d'une grande piété,mais nous savions y croiser une tante de notre mère,qui sans être une grenouille de bénitier,était une fidèle parmi les fidèles .Ce qui pour nous avait un avantage non négligeable,nous étions certains, le jour du seigneur de la trouver et ainsi bénéficier d'une récompense sonnante et trébuchante(de quoi nous satisfaire en sucrerie ,mais guère plus) à notre courageuse "matinalité" .Mais dieu si j'ose dire ,que ce jour me devint au fil des années le jour le plus morne,le jour le plus amer et le plus chiant .Souvent pourtant lorsqu'une belle rencontre pour lui se portait caution j'aurais aimé qu'il s'éternise ...mais coincé entre le "meilleur et le pire",souvent débordé par son joyeux et imposant prédécesseur et hypothéqué par le spectre du redouté lundi,comment lui accorder la légitimité?

     

    Le train train habituel roule sans anicroche.Mais l'appareillage commence à me gonfler sérieusement .A quand ma liberté de mouvements ?J'en fais part aux aides soignantes du jour qui viennent d'entrer ,une brunette non dénuée de charme qui me chambre un peu et sa collègue un peu ronde qui fredonne complice .Je table sur ma sortie le lendemain,elles me taquinent encore,ce que je ne déteste pas.La chanteuse commence ma toilette et me passe le gant ...Le contact des parties intimes lui couperait -il le sifflet ?

     

    Toujours est-il que je maintiens mes dires,je sortirai demain ."Le lundi est mon jour de repos "me dit l'une d'entre elle .C'est le cas également pour sa collègue ."Vous verrez bien" leur dis-je ,"mardi vous ne me retrouverez pas".Elles s'amusent encore ,vu mon état je peux les comprendre .Ou est le fringant sexagénaire,torse bombé et mine fière ?

     


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  • Nous sommes vendredi ...ou peut-être samedi ,ma mémoire amie plus que fidèle navigue encore dans les méandres vaporeux de l'anesthésie maintenant alimentés par la pompe à morphine.Une jeune infirmière blonde entre ."bonjour monsieur ,je dois vous faire une injection anti phlébite.Vous préférez le ventre ou la cuisse" ?Des piqûres dans différentes parties du corps y compris dans l'œil n'ont jamais percé à jour ma répulsion pour elles ,mais dans le ventre... comme j'ai le choix ; la cuisse me paraît moins sensible.La jolie blonde a pris congé.A nouveau la porte s'ouvre."Bonjour,pour le petit déjeuner,vous préférez thé ou café ,pain ou biscottes"se renseigne une dame avec un large sourire .-"café s'il vous plaît avec du pain,mais pas de beurre(j'ai une aversion pour le beurre cru,qui me vient de ma petite enfance).Je n'attends pas un quart d'heure, qu'elle me sert une belle tasse de café ,deux morceaux de pain,deux godets de confiture à l'abricot et un jus d'orange .Je ne boude pas mon plaisir,je n'ai pas mangé depuis mercredi soir.Les festivités continuent ,ici c'est kermesse et flonflon:la tension ,la température,le remplacement du flacon de glucose ,la vidange de la poche d'urine ,une radio des poumons etc ...Enguirlandé comme je suis,pas question de prendre une douche,aussi une aide soignante(un œil à Paris et l'autre à Moscou que des vers correcteurs n'arrivent pas à réconcilier complètement)me fait au gant la toilette intégrale .Puis je patiente dans un fauteuil le temps qu' aidée de sa collègue elle change les draps . La télé est allumée ... L'heure importe peu...le chirurgien est là.Il me rend compte de son acte:"finalement j'ai enlevé le lobe entier"puis il m'informe sur les nodules:"Nous n'avons rien vu c'était trop écrasé".Du moins c'est que j'ai cru comprendre.Un regain d'espoir me parcourt les veines ."Vous pourrez sortir lundi"rajoute t-il avant de quitter la chambre .


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  • Un infirmier me transborde du lit sur un brancard.Le plafond du couloir défile comme une bande blanche continue.Déjà les lumières me semblent tamisées et les voix se diluent dans un brouhaha .Me voilà au bloc .J'entends des rires .Ils sont dans la routine,moi dans l'accidentel.J'ai toujours détesté l'échéance ,le rendez-vous,le point fixe,tout ce qui balise,alerte et parfois sanctionne,mais ici c'est un verdict que j'attends avec impatience .Je ne suis pourtant pas dans la rumination,ni même dans le fatalisme.Le chirurgien dans son habit vert vient me saluer avant de faire son œuvre,qui je n'en doute pas sera un chef d'œuvre .Un autre homme se présente :"Je suis l'anesthésiste,je vais vous poser une péridurale".Une première piqûre ne le satisfait pas,le cathéter est finalement posé une ou deux vertèbres plus haut.L'injection dans le bras droit et l'inspiration dans le masque me happent ...Je me réveille harnaché,tuyau d'oxygène dans les naseaux,cathéter pour la morphine,un autre pour la perfusion et le brassard gonflant mesurant la tension .Voudrais-je ruer des quatre fers, entravé comme je le suis,la cabriole aboutirait à une catastrophe.Ô miracle ,aucune douleur,si ce n'est une douleur dorsale de position .Quelques heures passées, une chose m'interroge,je n'ai toujours pas pissé ...l' esprit à peine émergé des limbes morphiniques ,je comprends le pourquoi en découvrant la sonde urinaire qui file sous les draps et alimente la poche gisant au pied de la perche ou pend le flacon de glucose.


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  • Embarqué chez les "ouvriers du port",qu'au son de la puissante sirène qui appelait ceux que ta mère ,à l'instar de nombreux Brestois, nommait les"crabes dormeurs",tu moquais pourtant depuis ton enfance.( qu'ils fussent des crabes peut-être ...oui mais aux pinces d' or ).Il ne faut jamais dire fontaine ...et donc pour ne pas rester en rade, après avoir quitté "l'esquif"tu entrais au service de la "flotte".Tu essuyas quelques tempêtes,"matelot"il te fallut maintes fois réduire la voilure,mais baisser pavillon ... tu ne t'y résolus jamais !Et si jamais non plus tu n'aimas l'haleine des anciens, fleurie aux lourds relents du "cambusard",celle des plus modernes parfumée aux senteurs provençale,à la truculence désinhibée des "docteurs","professeurs"et autres "honoris causa",tu ne t'interdisais pas d'applaudir .Bien sûr la cyclothymie "saoulographique" t'irritait.Tu ne goûtais guère l'alcool et sans faire la chasse aux consommateurs excessifs comme les appelait la médecine, tu n'en partageais pas les festivités .Dans les années 80 après un coup de gueule intempestif,un claquage de porte,tu fus expédié à l'atelier du poste 8.Ici la densité de "suceurs de glace"aurait fait fondre la banquise aussi sûrement que le réchauffement climatique.Bon contre bon cœur, tu fis bonne fortune.Tes galons, certes gagnés au"charbon",te furent enfin donnés.Espiègle toujours,tu multipliais les blagues pas toujours appréciées.Ainsi le sifflet pour pot d'échappement que tu dégotas dans un commerce de farces et attrapes ,qui bien introduit dans cette sortie amena un jeune collègue à se faire arrêter par les gendarmes maritimes.Une remarque te fut adressée par un de ses proches,"c'est dégueulasse ce que tu as fait à Gil ...";mouais c'est bizarre comme la rétorsion est toujours mal vécue!Une autre fois dans le petit local dédié au découpage au chalumeau,mais qui nous servait le plus souvent au repli stratégique,boire un café,noircir une grille de mots croisés ou simplement papoter (débiter des conneries sur Jésus le Nazairien dont le père était charpentier aux chantiers de Penhoët),alors que tu buvais un café,un soudeur déposa sur la plaque de contreplaqué faisant office de table,une bouteille de rouge,puis s'en retourna,peut-être chercher un tire bouchon.Aussitôt tu la dérobas et la mis en lieu sûr .Tu l'entendis bougonner puis s'adressant à toi:"je sais que c'est toi"  fulmina t-il.Passé un mois ,alors qu'ils étaient quatre réunis pour une collation,tu leur offris la "négresse"subtilisée dans ce même local ."Oh merci Gilbert,c'est sympa".Ha ha ha tu n'est pas un mauvais diable ,après tout ce n'était pas à toi de faire le gendarme !Bon je me laisse aller à des souvenirs pas toujours glorieux .Mais ce qui me consterne c'est l'idée d'avoir à subir les conséquences du crapahutage dans les bords insalubres.Je me revois progresser dans le vaigre(double coque)ou me faufiler dans les endroits les plus improbables des bâtiments de guerre .Demain est un autre jour:le jour de l'opération .


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  • Eh coco tu aurais pu te botter les fesses .Mais comme l'avait dit nombre de profs,partisan du moindre effort tu ne te cassais pas la nénette .Souviens toi cette prof de maths à qui tu ne rendais plus que des copies vierges .Certes la vie n'est pas une équation , du moins pas pour toi qui par identités remarquables ne reconnaissais que les poètes .L'histoire-géo et surtout le français venaient bien te chatouiller les synapses,mais plus fort encore le besoin de liberté agitait ta "caboche".Lire oui,mais pas contraint,lire tout et n'importe quoi mais lire,lire.Te goinfrer de lecture,ingurgiter à te gaver pareil une oie comme si tu présageais une longue traversée du désert .Mais puisque comme te l'avais appris un étudiant de passage dans ta boîte pour emploi d'été,le célèbre Arthur Rimbaud ,à vingt ans avait tout abandonné pour l'aventure ,alors que tu occupasses désormais ton temps à bien autre chose que la lecture ne te culpabilisait plus .Ha ha ha mon pauvre garçon !Oubliées tes chimères ,l'archéologie que tu appelais de tes vœux ,les plaidoiries où tu aurais bluffé ton auditoire avec tes magistraux effets de manche,agrafé les manchettes à la une,sinon mis ta "patte" éditoriale dans un grand titre.La jeunesse c'est beau et c'est con .Englué dans le quotidien tu fus bientôt emporté par une passion dévorante:le jeu.Tourne le monde ...tu compulsais d'autres formats derrière lesquels tu pouvais t'illusionner .Lecteur assidu de la presse hippique tu découvris avec étonnement les savoureux éditoriaux de la"bible"du turfiste.Un peu maigre pour une indulgence ... leur lecture n'était pas une contrition mais un préalable aux péchés à venir .Compulseur infatigable par calculs et recoupements de critères découverts par ta seule curiosité tu traquais la pépite .Ici tu gagnes ou tu perds tout seul,pas de chaperon .Les règles sont les tiennes,tu défriches ,tu sèmes et tu moissonnes ,souvent tu glanes,parfois tu engranges ,mais quand la "loose" te colle au cul c'est toi qui est fauché .Je ne sais de qui sont ces vers appris au collège,mais je les ai toujours en tête

     

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    L'espoir qui me remet du jour au lendemain

    Essaye à gagner temps sur ma peine obstinée.

    Assis sur un fagot, une pipe à la main

    Assis sur un fagot, une pipe à la main,
    Tristement accoudé contre une cheminée,
    Les yeux fixés vers terre, et l'âme mutinée,
    Je songe aux crautés de mon sort inhumain.

    L'espoir qui me remet du jour au lendemain,
    Essaye à gagner temps sur ma peine obstinée,
    Et me venant promettre une autre destinée,
    Me fait monter plus haut qu'un Empereur Romain.

    Mais à peine cette herbe est-elle mise en cendre,
    Qu'en mon premier estat il me convient descendre,
    Et passer mes ennuis à redire souvent :

    Non, je ne trouve point beaucoup de différence
    De prendre du tabac à vivre d'espérance,
    Car l'un n'est que fumée, et l'autre n'est que vent.


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