• Un infirmier me transborde du lit sur un brancard.Le plafond du couloir défile comme une bande blanche continue.Déjà les lumières me semblent tamisées et les voix se diluent dans un brouhaha .Me voilà au bloc .J'entends des rires .Ils sont dans la routine,moi dans l'accidentel.J'ai toujours détesté l'échéance ,le rendez-vous,le point fixe,tout ce qui balise,alerte et parfois sanctionne,mais ici c'est un verdict que j'attends avec impatience .Je ne suis pourtant pas dans la rumination,ni même dans le fatalisme.Le chirurgien dans son habit vert vient me saluer avant de faire son œuvre,qui je n'en doute pas sera un chef d'œuvre .Un autre homme se présente :"Je suis l'anesthésiste,je vais vous poser une péridurale".Une première piqûre ne le satisfait pas,le cathéter est finalement posé une ou deux vertèbres plus haut.L'injection dans le bras droit et l'inspiration dans le masque me happent ...Je me réveille harnaché,tuyau d'oxygène dans les naseaux,cathéter pour la morphine,un autre pour la perfusion et le brassard gonflant mesurant la tension .Voudrais-je ruer des quatre fers, entravé comme je le suis,la cabriole aboutirait à une catastrophe.Ô miracle ,aucune douleur,si ce n'est une douleur dorsale de position .Quelques heures passées, une chose m'interroge,je n'ai toujours pas pissé ...l' esprit à peine émergé des limbes morphiniques ,je comprends le pourquoi en découvrant la sonde urinaire qui file sous les draps et alimente la poche gisant au pied de la perche ou pend le flacon de glucose.


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  • Embarqué chez les "ouvriers du port",qu'au son de la puissante sirène qui appelait ceux que ta mère ,à l'instar de nombreux Brestois, nommait les"crabes dormeurs",tu moquais pourtant depuis ton enfance.( qu'ils fussent des crabes peut-être ...oui mais aux pinces d' or ).Il ne faut jamais dire fontaine ...et donc pour ne pas rester en rade, après avoir quitté "l'esquif"tu entrais au service de la "flotte".Tu essuyas quelques tempêtes,"matelot"il te fallut maintes fois réduire la voilure,mais baisser pavillon ... tu ne t'y résolus jamais !Et si jamais non plus tu n'aimas l'haleine des anciens, fleurie aux lourds relents du "cambusard",celle des plus modernes parfumée aux senteurs provençale,à la truculence désinhibée des "docteurs","professeurs"et autres "honoris causa",tu ne t'interdisais pas d'applaudir .Bien sûr la cyclothymie "saoulographique" t'irritait.Tu ne goûtais guère l'alcool et sans faire la chasse aux consommateurs excessifs comme les appelait la médecine, tu n'en partageais pas les festivités .Dans les années 80 après un coup de gueule intempestif,un claquage de porte,tu fus expédié à l'atelier du poste 8.Ici la densité de "suceurs de glace"aurait fait fondre la banquise aussi sûrement que le réchauffement climatique.Bon contre bon cœur, tu fis bonne fortune.Tes galons, certes gagnés au"charbon",te furent enfin donnés.Espiègle toujours,tu multipliais les blagues pas toujours appréciées.Ainsi le sifflet pour pot d'échappement que tu dégotas dans un commerce de farces et attrapes ,qui bien introduit dans cette sortie amena un jeune collègue à se faire arrêter par les gendarmes maritimes.Une remarque te fut adressée par un de ses proches,"c'est dégueulasse ce que tu as fait à Gil ...";mouais c'est bizarre comme la rétorsion est toujours mal vécue!Une autre fois dans le petit local dédié au découpage au chalumeau,mais qui nous servait le plus souvent au repli stratégique,boire un café,noircir une grille de mots croisés ou simplement papoter (débiter des conneries sur Jésus le Nazairien dont le père était charpentier aux chantiers de Penhoët),alors que tu buvais un café,un soudeur déposa sur la plaque de contreplaqué faisant office de table,une bouteille de rouge,puis s'en retourna,peut-être chercher un tire bouchon.Aussitôt tu la dérobas et la mis en lieu sûr .Tu l'entendis bougonner puis s'adressant à toi:"je sais que c'est toi"  fulmina t-il.Passé un mois ,alors qu'ils étaient quatre réunis pour une collation,tu leur offris la "négresse"subtilisée dans ce même local ."Oh merci Gilbert,c'est sympa".Ha ha ha tu n'est pas un mauvais diable ,après tout ce n'était pas à toi de faire le gendarme !Bon je me laisse aller à des souvenirs pas toujours glorieux .Mais ce qui me consterne c'est l'idée d'avoir à subir les conséquences du crapahutage dans les bords insalubres.Je me revois progresser dans le vaigre(double coque)ou me faufiler dans les endroits les plus improbables des bâtiments de guerre .Demain est un autre jour:le jour de l'opération .


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  • Eh coco tu aurais pu te botter les fesses .Mais comme l'avait dit nombre de profs,partisan du moindre effort tu ne te cassais pas la nénette .Souviens toi cette prof de maths à qui tu ne rendais plus que des copies vierges .Certes la vie n'est pas une équation , du moins pas pour toi qui par identités remarquables ne reconnaissais que les poètes .L'histoire-géo et surtout le français venaient bien te chatouiller les synapses,mais plus fort encore le besoin de liberté agitait ta "caboche".Lire oui,mais pas contraint,lire tout et n'importe quoi mais lire,lire.Te goinfrer de lecture,ingurgiter à te gaver pareil une oie comme si tu présageais une longue traversée du désert .Mais puisque comme te l'avais appris un étudiant de passage dans ta boîte pour emploi d'été,le célèbre Arthur Rimbaud ,à vingt ans avait tout abandonné pour l'aventure ,alors que tu occupasses désormais ton temps à bien autre chose que la lecture ne te culpabilisait plus .Ha ha ha mon pauvre garçon !Oubliées tes chimères ,l'archéologie que tu appelais de tes vœux ,les plaidoiries où tu aurais bluffé ton auditoire avec tes magistraux effets de manche,agrafé les manchettes à la une,sinon mis ta "patte" éditoriale dans un grand titre.La jeunesse c'est beau et c'est con .Englué dans le quotidien tu fus bientôt emporté par une passion dévorante:le jeu.Tourne le monde ...tu compulsais d'autres formats derrière lesquels tu pouvais t'illusionner .Lecteur assidu de la presse hippique tu découvris avec étonnement les savoureux éditoriaux de la"bible"du turfiste.Un peu maigre pour une indulgence ... leur lecture n'était pas une contrition mais un préalable aux péchés à venir .Compulseur infatigable par calculs et recoupements de critères découverts par ta seule curiosité tu traquais la pépite .Ici tu gagnes ou tu perds tout seul,pas de chaperon .Les règles sont les tiennes,tu défriches ,tu sèmes et tu moissonnes ,souvent tu glanes,parfois tu engranges ,mais quand la "loose" te colle au cul c'est toi qui est fauché .Je ne sais de qui sont ces vers appris au collège,mais je les ai toujours en tête

     

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    L'espoir qui me remet du jour au lendemain

    Essaye à gagner temps sur ma peine obstinée.

    Assis sur un fagot, une pipe à la main

    Assis sur un fagot, une pipe à la main,
    Tristement accoudé contre une cheminée,
    Les yeux fixés vers terre, et l'âme mutinée,
    Je songe aux crautés de mon sort inhumain.

    L'espoir qui me remet du jour au lendemain,
    Essaye à gagner temps sur ma peine obstinée,
    Et me venant promettre une autre destinée,
    Me fait monter plus haut qu'un Empereur Romain.

    Mais à peine cette herbe est-elle mise en cendre,
    Qu'en mon premier estat il me convient descendre,
    Et passer mes ennuis à redire souvent :

    Non, je ne trouve point beaucoup de différence
    De prendre du tabac à vivre d'espérance,
    Car l'un n'est que fumée, et l'autre n'est que vent.


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  • Dans le doute depuis trois mois,loin d'avancer comme l'a dit le philosophe,je sasse et ressasse.Pauvre gosse fallait-il que ton caractère impétueux ,peut-être ta paresse et plus sûrement le mal qui te taraudait le ventre te conduisissent au rejet le plus violent de l'école.Lancé dès 15 ans dans le grand bain,très vite baptisé à la douche écossaise,dans cet atelier qui t'accueillit comme le prophète ,Il te fallut assumer tes contradictions.A en chier 45 heures par semaine dans une boîte ou le paternalisme vivait encore de beaux jours.Le contremaître petit trapu, la cinquantaine bien sonnée,la mine sévère,accentuée encore lorsqu'il chaussait ses lunettes à monture d'acier .Aviné plus souvent qu'à son tour ce type tirait sa légitimité des échelons gravis aux côtés du fondateur de la SA .Mais encore avait-il l'excuse d'avoir été lui-même un apprenti élevé à la dure,tandis que le chef de fabrication un pédant faisant de l'ironie une illusoire suprématie .(Il prenait les apprentis pour des cons,et nous le lui rendions bien ,cette tâche).Ah il faut bien dire qu'il ne rechignait pas non plus que les autres ,hormis les arpètes,à aligner les "blondes".Chaque semaine( avec je suppose l'accord tacite du singe) , une livraison de casiers tintinnabulants entrait au magasin d'outillage .Bien sûr les conditions de travail étaient propices à l'épanouissement personnel,les doléances entendues et nous travaillions donc dans la joie et l'allégresse.Ah il y avait bien des difficultés, par exemple des chariots même pas hydrauliques,mais à ressorts dynamiques,chargés d'une tonne de tôle, qu'il nous fallait au prix d'efforts,selon notre cher Guy(chef de fabrication)formateurs pour notre musculature,tirer sur un sol inégal .Ne nous avait-il pas lancé lors du déchargement d'une semi-remorque nous approvisionnant en socles de fontes :"cela vous fera de belles épaules ".Ha ha ha tout çà à l'heure du déjeuner.(la loi Elkhomri me ferait presque rire).Pauvres apprentis ,oui pauvres !Pauvre l'apprentissage,pauvre la rémunération,pauvre la société qui exploite sans vergogne...Ici le salaire était disaient certains avec une grinçante ironie,le "salaire de la peur;suer sang et eau pour un smic certes complémentaire pour une majorité des employés à une retraite de la marine ,mais quand même !Seuls les trois sableurs-métalliseurs travaillant me semble t-il à la tâche sans se faire des couilles en or ,ce qui aurait été un comble pour des "zingueurs",semblaient satisfaits de leur enveloppe mensuelle .L'atmosphère était souvent irrespirable,entre les vapeurs de zinc en fusion projeté au pistolet,les fumées de soudage ou les projections de découpage au chalumeau ,sans compter les émanations du trichloréthylène avec lequel nous dégraissions non seulement des pièces avant peinture,mais également nos "paluches" sales .Pouvions nous savoir, petites mains de l'industrie que cette saloperie  nous détruisait les neurones sans compter?


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  • Moi qui depuis des décennies pour diverses raisons dors à poil ai acheté un pyjama, indispensable à mon séjour, si court sera t-il,à la clinique .J'ai choisi un dépareillé,short bleu marine et sweet shirt corail imprimé sur lequel s'affiche en lettres capitales:CALIFORNIA NIGTHS.Si je me présage des nuits agitées,je doute qu'elles soient torrides .Le fantasme de l'infirmière,logé dans une case de l'occipital,ne franchira pas les limbes morphiniques.Adolescent turbulent, j'avais après une explication mouvementée à la sortie d'une boîte de nuit échoué dans des draps blancs à l'hôpital Morvan.Une doctoresse au charme débordant dans l'échancrure de sa blouse blanche,après avoir recousu la cornée blessée de mon œil droit,se penchant sur mon lit pour vérifier la suture,offrait à ma pupille gauche une vue imprenable sur ses globes parfaits .16 heures tapantes, accompagné de ma femme je me présente à l'accueil au"Grand Bleu".La secrétaire nous indique le bureau des entrées juste derrière nous .Les formalités remplies,nous montons au premier étage où je suis pris en charge par le personnel soignant .La chambre no 186 , individuelle,aux soins intensifs(calme et volupté),sera mon espace post opératoire.Je pose mon sac,range mes vêtements et affaires de toilette puis je troque mes jean et T shirt pour une chemise médicale nouée dans le dos .Une pesée indique 85 kgs .Je suis dubitatif et fais part à l'infirmière qui me concède la non fiabilité de l'instrument .Ouf 2 kgs pris en un mois çà faisait peur .Une de ses consœurs prend ma tension tandis que j' énumère à la première les différents médicaments dont est fait mon traitement quotidien.Un infirmier me rase gratis, d'abord l'aisselle puis l'abdomen et le pectoral droit.Ah ma belle toison ,de quoi aurai-je l'air cet été sur la plage !Bon nécessité fait loi .Tout ce petit monde s'éclipse poliment :"Au revoir monsieur" ."Oui au revoir" leur dis-je en retour .Quelques instants plus tard on frappe à la porte .Une belle femme gracile à la chevelure blonde abondante et bouclée apparaît une mallette à la main .Présentation faite,Bas de contention obligent,elle prend les mesures de mes jambes,disparaît momentanément puis revient avec le matériel adéquat ."Voulez-vous que je vous aide"me propose t-elle."Oui s'il vous plaît merci".Elle enroule puis déroule avec dextérité les bas qui aussitôt me compressent les mollets .Je la remercie .Elle prend congé . Formule de politesse. Ma femme non sans inquiétude me quitte à son tour .Cette épreuve semble avoir resserré des liens plus que fluctuants depuis des mois.Elle m'embrasse avec conviction et çà me fait du bien."Ne t'inquiète pas ,tout ira bien" lui dis-je."A demain ".Quand j'accueille la jolie métisse qui m'annonce être la nutritionniste rattachée au service,je me dis :"il y a du monde dans le défilé".Elle me questionne sur mon régime alimentaire habituel ."Il vous faudra des protéines pour une cicatrisation rapide".Le dîner est à la hauteur de mes espérances,digne d'un trois étoiles.Bon je ne suis pas ici en villégiature avec gastronomie à la carte.Ne parlons pas de saveurs ,seuls comptent les nutriments,pas de mélange des genres.J'ai du somnoler ..."Bonsoir,je suis l'infirmière de nuit".J'entrouvre un œil .Encore un joli minois ."Je vous donne un décontractant pour la nuit".


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